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LES MISÉRABLES. — L’ÉPOPÉE RUE St-DENIS.

Maintenant je suis bien. Vous rappelez-vous le jour où je suis entrée dans votre chambre et où je me suis mirée dans votre miroir, et le jour où je vous ai rencontré sur le boulevard près des femmes en journée ? Comme les oiseaux chantaient ! Il n’y a pas bien longtemps. Vous m’avez donné cent sous, et je vous ai dit : Je ne veux pas de votre argent. Avez-vous ramassé votre pièce au moins ? Vous n’êtes pas riche. Je n’ai pas pensé à vous dire de la ramasser. Il faisait beau soleil, on n’avait pas froid. Vous souvenez-vous, monsieur Marius ? Oh ! je suis heureuse ! Tout le monde va mourir.

Elle avait un air insensé, grave et navrant. Sa blouse déchirée montrait sa gorge nue. Elle appuyait en parlant sa main percée sur sa poitrine où il y avait un autre trou, et d’où il sortait par instant un flot de sang comme le jet de vin d’une bonde ouverte.

Marius considérait cette créature infortunée avec une profonde compassion.

— Oh ! reprit-elle tout à coup, cela revient. J’étouffe !

Elle prit sa blouse et la mordit, et ses jambes se raidissaient sur le pavé.

En ce moment la voix de jeune coq du petit Gavroche retentit dans la barricade. L’enfant était monté sur une table pour charger son fusil et chantait gaiement la chanson alors si populaire :


En voyant Lafayette,
Le gendarme répète
Sauvons-nous ! sauvons-nous ! sauvons-nous !


Éponine se souleva, et écouta, puis elle murmura :