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LES GRANDEURS DU DÉSESPOIR.

Elle murmura :

— La balle a traversé la main, mais elle est sortie par le dos. C’est inutile de m’ôter d’ici. Je vais vous dire comment vous pouvez me panser, mieux qu’un chirurgien. Asseyez-vous près de moi sur cette pierre.

Il obéit ; elle posa sa tête sur les genoux de Marius, et sans le regarder, elle dit :

— Oh ! que c’est bon ! Comme on est bien ! Voilà ! je ne souffre plus.

Elle demeura un moment en silence, puis elle tourna son visage avec effort et regarda Marius.

— Savez-vous cela, monsieur Marius ? Cela me taquinait que vous entriez dans ce jardin, c’était bête, puisque c’était moi qui vous avais montré la maison, et puis enfin je devais bien me dire qu’un jeune homme comme vous…

Elle s’interrompit et, franchissant les sombres transitions qui étaient sans doute dans son esprit, elle reprit avec un déchirant sourire :

— Vous me trouviez laide, n’est-ce pas ?

Elle continua :

— Voyez-vous, vous êtes perdu ! Maintenant personne ne sortira de la barricade. C’est moi qui vous ai amené ici, tiens ! Vous allez mourir, j’y compte bien. Et pourtant, quand j’ai vu qu’on vous visait, j’ai mis la main sur la bouche du canon de fusil. Comme c’est drôle ! Mais c’est que je voulais mourir avant vous. Quand j’ai reçu cette balle, je me suis traînée ici, on ne m’a pas vue, ou ne m’a pas ramassée. Je vous attendais, je disais : Il ne viendra donc pas ? Oh ! si vous saviez, je mordais ma blouse, je souffrais tant !