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LES MISÉRABLES. — L’ÉPOPÉE RUE St-DENIS.

il s’était rué dans la mêlée ses deux pistolets à la main. Du premier coup il avait sauvé Gavroche et du second délivré Courfeyrac.

Aux coups de feu, aux cris des gardes frappés, les assaillants avaient gravi le retranchement, sur le sommet duquel on voyait maintenant se dresser plus d’à mi-corps, et en foule, des gardes municipaux, des soldats de la ligne, des gardes nationaux de la banlieue, le fusil au poing. Ils couvraient déjà plus des deux tiers du barrage, mais ils ne sautaient pas dans l’enceinte, comme s’ils balançaient, craignant quelque piège. Ils regardaient dans la barricade obscure comme on regarderait dans une tanière de lions. La lueur de la torche n’éclairait que les bayonnettes, les bonnets à poil et le haut des visages inquiets et irrités.

Marius n’avait plus d’armes, il avait jeté ses pistolets déchargés, mais il avait aperçu le baril de poudre dans la salle basse près de la porte.

Comme il se tournait à demi, regardant de ce côté, un soldat le coucha en joue. Au moment où le soldat ajustait Marius, une main se posa sur le bout du canon du fusil, et le boucha. C’était quelqu’un qui s’était élancé, le jeune ouvrier au pantalon de velours. Le coup partit, traversa la main, et peut-être aussi l’ouvrier, car il tomba, mais la balle n’atteignit pas Marius. Tout cela dans la fumée, plutôt entrevu que vu. Marius, qui entrait dans la salle basse, s’en aperçut à peine. Cependant il avait confusément vu ce canon de fusil dirigé sur lui et cette main qui l’avait bouché, et il avait entendu le coup. Mais dans des minutes comme celle-là, les choses qu’on voit vacillent et se précipitent, et l’on ne