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LES MISÉRABLES. — L’ÉPOPÉE RUE St-DENIS.

splendide venait de se faire dans son esprit. Il y a une dilatation de pensée propre au voisinage de la tombe ; être près de la mort, cela fait voir vrai. La vision de l’action dans laquelle il se sentait peut-être sur le point d’entrer lui apparut, non plus lamentable, mais superbe. La guerre de la rue se transfigura subitement, par on ne sait quel travail d’âme intérieur, devant l’œil de sa pensée. Tous les tumultueux points d’interrogation de la rêverie lui revinrent en foule, mais sans le troubler. Il n’en laissa aucun sans réponse.

Voyons, pourquoi son père s’indignerait-il ? est-ce qu’il n’y aurait point des cas où l’insurrection monte à la dignité de devoir ? qu’y aurait-il donc de diminuant pour le fils du colonel Pontmercy dans le combat qui s’engage ? Ce n’est plus Montmirail ni Champaubert ; c’est autre chose. Il ne s’agit plus d’un territoire sacré, mais d’une idée sainte. La patrie se plaint, soit ; mais l’humanité applaudit. Est-il vrai d’ailleurs que la patrie se plaigne ? La France saigne, mais la liberté sourit ; et devant le sourire de la liberté, la France oublie sa plaie. Et puis, à voir les choses de plus haut encore, que viendrait-on parler de guerre civile ?

La guerre civile ? qu’est-ce à dire ? Est-ce qu’il y a une guerre étrangère ? Est-ce que toute guerre entre hommes n’est pas la guerre entre frères ? La guerre ne se qualifie que par son but. Il n’y a ni guerre étrangère, ni guerre civile ; il n’y a que la guerre injuste et la guerre juste. Jusqu’au jour où le grand concordat humain sera conclu, la guerre, celle du moins qui est l’effort de l’avenir qui se hâte contre le passé qui s’attarde, peut être nécessaire. Qu’a-t-on