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LES MISÉRABLES. — L’ÉPOPÉE RUE St-DENIS.

Ombre farouche, pleine de pièges, pleine de chocs inconnus et redoutables, où il était effrayant de pénétrer et épouvantable de séjourner, où ceux qui entraient frissonnaient devant ceux qui les attendaient ; où ceux qui attendaient tressaillaient devant ceux qui allaient venir. Des combattants invisibles retranchés à chaque coin de rue ; les embûches du sépulcre cachées dans les épaisseurs de la nuit. C’était fini. Plus d’autre clarté à espérer là désormais que l’éclair des fusils, plus d’autre rencontre que l’apparition brusque et rapide de la mort. Où ? comment ? quand ? On ne savait, mais c’était certain et inévitable. Là, dans ce lieu marqué pour la lutte, le gouvernement et l’insurrection, la garde nationale et les sociétés populaires, la bourgeoisie et l’émeute, allaient s’aborder à tâtons. Pour les uns comme pour les autres, la nécessité était la même. Sortir de là tués ou vainqueurs, seule issue possible désormais. Situation tellement extrême, obscurité tellement puissante, que les plus timides s’y sentaient pris de résolution et les plus hardis de terreur.

Du reste, des deux côtés, furie, acharnement, détermination égale. Pour les uns, avancer, c’était mourir, et personne ne songeait à reculer ; pour les autres, rester, c’était mourir, et personne ne songeait à fuir.

Il était nécessaire que le lendemain tout fût terminé, que le triomphe fût ici ou là, que l’insurrection fût une révolution ou une échauffourée. Le gouvernement le comprenait comme les partis ; le moindre bourgeois le sentait. De là une pensée d’angoisse qui se mêlait à l’ombre impénétrable de ce quartier où tout allait se décider ; de là un redoublement d’anxiété autour de ce silence d’où allait sortir une