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LES MISÉRABLES. — L’ÉPOPÉE RUE St-DENIS.

bile posée au bord de la lucarne et un peu de fumée blanchâtre qui s’en allait vers le toit.

— Voilà ! dit Le Cabuc en laissant retomber sur le pavé la crosse de son fusil.

Il avait à peine prononcé ce mot qu’il sentit une main qui se posait sur son épaule avec la pesanteur d’une serre d’aigle, et il entendit une voix qui lui disait :

— À genoux.

Le meurtrier se retourna et vit devant lui la figure blanche et froide d’Enjolras. Enjolras avait un pistolet à la main.

À la détonation, il était arrivé.

Il avait empoigné de sa main gauche le collet, la blouse, la chemise et la bretelle du Cabuc.

— À genoux, répéta-t-il.

Et d’un mouvement souverain le frêle jeune homme de vingt ans plia comme un roseau le crocheteur trapu et robuste et l’agenouilla dans la boue. Le Cabuc essaya de résister, mais il semblait qu’il eût été saisi par un poing surhumain.

Pâle, le cou nu, les cheveux épars, Enjolras, avec son visage de femme, avait en ce moment je ne sais quoi de la Thémis antique. Ses narines gonflées, ses yeux baissés donnaient à son implacable profil grec cette expression de colère et cette expression de chasteté qui, au point de vue de l’ancien monde, conviennent à la justice.

Toute la barricade était accourue, puis tous s’étaient rangés en cercle à distance, sentant qu’il était impossible de prononcer une parole devant la chose qu’ils allaient voir.