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CORINTHE.

je rêve ! — est-ce que ce serait ? … — non, ce n’est pas ! — mais si ! — mais non ! etc. Gavroche se balançait sur ses talons, crispait ses deux poings dans ses poches, remuait le cou comme un oiseau, dépensait en une lippe démesurée toute la sagacité de sa lèvre inférieure. Il était stupéfait, incertain, incrédule, convaincu, ébloui. Il avait la mine du chef des eunuques au marché des esclaves découvrant une Vénus parmi des dondons, et l’air d’un amateur reconnaissant un Raphaël dans un tas de croûtes. Tout chez lui était en travail, l’instinct qui flaire et l’intelligence qui combine. Il était évident qu’il arrivait un événement à Gavroche.

C’est au plus fort de cette préoccupation qu’Enjolras l’aborda.

— Tu es petit, dit Enjolras, on ne te verra pas. Sors des barricades, glisse-toi le long des maisons, va un peu partout par les rues, et reviens me dire ce qui se passe.

Gavroche se haussa sur ses hanches.

— Les petits sont donc bons à quelque chose ! c’est bien heureux ! J’y vas. En attendant fiez-vous aux petits, méfiez-vous des grands… — Et Gavroche, levant la tête et baissant la voix, ajouta, en désignant l’homme de la rue des Billettes :

— Vous voyez bien ce grand-là ?

— Eh bien ?

— C’est un mouchard.

— Tu es sûr ?

— Il n’y a pas quinze jours qu’il m’a enlevé par l’oreille de la corniche du pont Royal où je prenais l’air.

Enjolras quitta vivement le gamin et murmura quelques mots très bas à un ouvrier du port aux vins qui se trouvait