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LES MISÉRABLES. — L’ÉPOPÉE RUE St-DENIS.

de jovialité cordiale. On eût dit des frères ; ils ne savaient pas les noms les uns des autres. Les grands périls ont cela de beau qu’ils mettent en lumière la fraternité des inconnus.

Un feu avait été allumé dans la cuisine et l’on y fondait dans un moule à balles brocs, cuillers, fourchettes, toute l’argenterie d’étain du cabaret. On buvait à travers tout cela. Les capsules et les chevrotines traînaient pêle-mêle sur les tables avec les verres de vin. Dans la salle de billard, mame Hucheloup, Matelote et Gibelotte, diversement modifiées par la terreur, dont l’une était abrutie, l’autre essoufflée, l’autre éveillée, déchiraient de vieux torchons et faisaient de la charpie ; trois insurgés les assistaient, trois gaillards chevelus, barbus et moustachus, qui épluchaient la toile avec des doigts de lingère et qui les faisaient trembler.

L’homme de haute stature que Courfeyrac, Combeferre et Enjolras avaient remarqué, à l’instant où il abordait l’attroupement au coin de la rue des Billettes, travaillait à la petite barricade et s’y rendait utile. Gavroche travaillait à la grande. Quant au jeune homme qui avait attendu Courfeyrac chez lui et lui avait demandé monsieur Marius, il avait disparu à peu près vers le moment où l’on avait renversé l’omnibus.

Gavroche, complètement envolé et radieux, s’était chargé de la mise en train. Il allait, venait, montait, descendait, remontait, bruissait, étincelait. Il semblait être là pour l’encouragement de tous. Avait-il un aiguillon ? oui certes, sa misère ; avait-il des ailes ? oui certes, sa joie. Gavroche était un tourbillonnement. On le voyait sans cesse, on l’entendait toujours. Il remplissait l’air, étant partout à la fois. C’était