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LES MISÉRABLES. — L’ÉPOPÉE RUE St-DENIS.

cabaret illustre. Ce cabaret faisait un bruit de joie au lieu même que le vieux Théophile a signalé dans ces deux vers :


Là branle le squelette horrible
D’un pauvre amant qui se pendit.


L’endroit étant bon, les cabaretiers s’y succédaient de père en fils.

Du temps de Mathurin Régnier, ce cabaret s’appelait le Pot-aux-Roses, et comme la mode était au rébus, il avait pour enseigne un poteau peint en rose. Au siècle dernier, le digne Natoire, l’un des maîtres fantasques aujourd’hui dédaignés par l’école roide, s’étant grisé plusieurs fois dans ce cabaret à la table même où s’était soûlé Régnier, avait peint par reconnaissance une grappe de raisin de Corinthe sur le poteau rose. Le cabaretier, de joie, en avait changé son enseigne et avait fait dorer au-dessous de la grappe ces mots : au Raisin de Corinthe. De là ce nom, Corinthe. Rien n’est plus naturel aux ivrognes que les ellipses. L’ellipse est le zigzag de la phrase. Corinthe avait peu à peu détrôné le Pot-aux-Roses. Le dernier cabaretier de la dynastie, le père Hucheloup, ne sachant même plus la tradition, avait fait peindre le poteau en bleu.

Une salle en bas où était le comptoir, une salle au premier où était le billard, un escalier de bois en spirale perçant le plafond, le vin sur les tables, la fumée sur les murs, des chandelles en plein jour, voilà quel était le cabaret. Un escalier à trappe dans la salle d’en bas conduisait à la cave. Au second était le logis des Hucheloup. On y montait par un escalier, échelle plutôt qu’escalier, n’ayant pour entrée