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Le faubourg Saint-Antoine, sourdement chauffé, entrait en ébullition.

Les cabarets de la rue de Charonne étaient, quoique la jonction de ces deux épithètes semble singulière appliquée à des cabarets, graves et orageux.

Le gouvernement y était purement et simplement mis en question. On y discutait publiquement la chose pour se battre ou pour rester tranquille. Il y avait des arrière-boutiques où l’on faisait jurer à des ouvriers qu’ils se trouveraient dans la rue au premier cri d’alarme, et « qu’ils se battraient sans compter le nombre des ennemis. » Une fois l’engagement pris, un homme assis dans un coin du cabaret « faisait une voix sonore » et disait : Tu l’entends ! tu l’as juré ! Quelquefois on montait au premier étage dans une chambre close, et là il se passait des scènes presque maçonniques. On faisait prêter à l’initié des serments pour lui rendre service ainsi qu’aux pères de famille. C’était la formule.

Dans les salles basses on lisait des brochures « subversives ». Ils crossaient le gouvernement, dit un rapport secret du temps.

On y entendait des paroles comme celles-ci : — Je ne sais pas les noms des chefs. Nous autres, nous ne saurons le jour que deux heures d’avance. — Un ouvrier disait : — Nous sommes trois cents, mettons chacun dix sous, cela fera cent cinquante francs pour fabriquer des balles et de la poudre. — Un autre disait : — Je ne demande pas six mois, je n’en demande pas deux. Avant quinze jours nous serons en parallèle avec le gouvernement. Avec