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OÙ VONT-ILS ?

Tibulle de 1567 avec cette splendide inscription : Venetiis, in œdibus Manutianis ; enfin un Diogène Laërce, imprimé à Lyon en 1644, et où se trouvaient les fameuses variantes du manuscrit 411, treizième siècle, du Vatican, et celles des deux manuscrits de Venise, 393 et 394, si fructueusement consultés par Henri Estienne, et tous les passages en dialecte dorique qui ne se trouvent que dans le célèbre manuscrit du douzième siècle de la bibliothèque de Naples. M. Mabeuf ne faisait jamais de feu dans sa chambre et se couchait avec le jour pour ne pas brûler de chandelle. Il semblait qu’il n’eût plus de voisins, on l’évitait quand il sortait, il s’en apercevait. La misère d’un enfant intéresse une mère, la misère d’un jeune homme intéresse une jeune fille, la misère d’un vieillard n’intéresse personne. C’est de toutes les détresses la plus froide. Cependant le père Mabeuf n’avait pas entièrement perdu sa sérénité d’enfant. Sa prunelle prenait quelque vivacité lorsqu’elle se fixait sur ses livres, et il souriait lorsqu’il considérait le Diogène Laërce, qui était un exemplaire unique. Son armoire vitrée était le seul meuble qu’il eût conservé en dehors de l’indispensable.

Un jour la mère Plutarque lui dit :

— Je n’ai pas de quoi acheter le dîner.

Ce qu’elle appelait le dîner, c’était un pain et quatre ou cinq pommes de terre.

— À crédit ? fit M. Mabeuf.

— Vous savez bien qu’on me refuse.

M. Mabeuf ouvrit sa bibliothèque, regarda longtemps tous ses livres l’un après l’autre, comme un père, obligé de décimer ses enfants, les regarderait avant de choisir, puis