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LES DÉSOLATIONS.

nement impossible. Le père Gillenormand avait fini par dire à sa fille : — J’en ai assez, du Théodule. J’ai peu de goût pour les gens de guerre en temps de paix. Reçois-les si tu veux. Je ne sais pas si je n’aime pas mieux encore les sabreurs que les traîneurs de sabre. Le cliquetis des lames dans la bataille est moins misérable, après tout, que le tapage des fourreaux sur le pavé. Et puis, se cambrer comme un matamore et se sangler comme une femmelette, avoir un corset sous une cuirasse, c’est être ridicule deux fois. Quand on est un véritable homme, on se tient à égale distance de la fanfaronnade et de la mièvrerie. Ni fier-à-bras, ni joli cœur. Garde ton Théodule pour toi.

Sa fille eut beau lui dire : — C’est pourtant votre petit-neveu, — il se trouva que M. Gillenormand, qui était grand-père jusqu’au bout des ongles, n’était pas grand-oncle du tout.

Au fond, comme il avait de l’esprit et qu’il comparait, Théodule n’avait servi qu’à lui faire mieux regretter Marius.

Un soir, c’était le 4 juin, ce qui n’empêchait pas que le père Gillenormand n’eût un très bon feu dans sa cheminée, il avait congédié sa fille qui cousait dans la pièce voisine. Il était seul dans sa chambre à bergerades, les pieds sur ses chenets, à demi enveloppé dans son vaste paravent de coromandel à neuf feuilles, accoudé à sa table où brûlaient deux bougies sous un abat-jour vert, englouti dans son fauteuil de tapisserie, un livre à la main, mais ne lisant pas. Il était vêtu, selon sa mode, en incroyable, et ressemblait à un antique portrait de Garat. Cela l’eût fait suivre dans les rues, mais sa fille le couvrait toujours, lorsqu’il sortait, d’une