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LES ENCHANTEMENTS.

Pour Marius, écouter Cosette parler chiffons ;

Pour Cosette, écouter Marius parler politique ;

Entendre, genou contre genou, rouler les voitures rue de Babylone ;

Considérer la même planète dans l’espace ou le même ver luisant dans l’herbe ;

Se taire ensemble ; douceur plus grande encore que causer ;

Etc., etc.

Cependant diverses complications approchaient.

Un soir, Marius s’acheminait au rendez-vous par le boulevard des Invalides ; il marchait habituellement le front baissé ; comme il allait tourner l’angle de la rue Plumet, il entendit qu’on disait tout près de lui :

— Bonsoir, monsieur Marius.

Il leva la tête, et reconnut Éponine.

Cela lui fit un effet singulier. Il n’avait pas songé une seule fois à cette fille depuis le jour où elle l’avait amené rue Plumet, il ne l’avait point revue, et elle lui était complètement sortie de l’esprit. Il n’avait que des motifs de reconnaissance pour elle, il lui devait son bonheur présent, et pourtant il lui était gênant de la rencontrer.

C’est une erreur de croire que la passion, quand elle est heureuse et pure, conduit l’homme à un état de perfection ; elle le conduit simplement, nous l’avons constaté, à un état d’oubli. Dans cette situation, l’homme oublie d’être mauvais, mais il oublie aussi d’être bon. La reconnaissance, le devoir, les souvenirs essentiels et importuns, s’évanouissent. En tout autre temps Marius eût été bien autre pour Éponine.