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L'ARGOT.

lerie, même la menace, avaient toutes ce caractère impuissant et accablé. Tous les chants, dont quelques mélodies ont été recueillies, étaient humbles et lamentables à pleurer. Le pègre s’appelle le pauvre pègre, et il est toujours le lièvre qui se cache, la souris qui se sauve, l’oiseau qui s’enfuit. À peine réclame-t-il, il se borne à soupirer ; un de ses gémissements est venu jusqu’à nous : — Je n’entrave que le dail comment meck, le daron des orgues, peut atiger ses mômes et ses momignards et les locher criblant sans être atigé lui-même[1]. — Le misérable, toutes les fois qu’il a le temps de penser, se fait petit devant la loi et chétif devant la société ; il se couche à plat ventre, il supplie, il se tourne du côté de la pitié ; on sent qu’il se sait dans son tort.

Vers le milieu du dernier siècle, un changement se fit. Les chants de prisons, les ritournelles de voleurs prirent, pour ainsi parler, un geste insolent et jovial. Le plaintif maluré fut remplacé par larifla. On retrouve au dix-huitième siècle, dans presque toutes les chansons des galères, des bagnes et des chiourmes, une gaîté diabolique et énigmatique. On y entend ce refrain strident et sautant qu’on dirait éclairé d’une lueur phosphorescente et qui semble jeté dans la forêt par un feu follet jouant du fifre :

Mirlababi surlababo,
Mirliton ribon ribette,
Surlababi, mirlababo,
Mirliton ribon ribo.

  1. Je ne comprends pas comment Dieu, le père des hommes, peut torturer ses enfants et ses petits-enfants et les entendre crier sans être torturé lui-même.