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LE PETIT GAVROCHE.

dits de ne jamais s’abandonner entre eux, avaient rôdé toute la nuit autour de la Force, quel que fût le péril, dans l’espérance de voir surgir au haut de quelque muraille Thénardier. Mais la nuit qui devenait vraiment trop belle, c’était une averse à rendre toutes les rues désertes, le froid qui les gagnait, leurs vêtements trempés, leurs chaussures percées, le bruit inquiétant qui venait d’éclater dans la prison, les heures écoulées, les patrouilles rencontrées, l’espoir qui s’en allait, la peur qui revenait, tout cela les poussait à la retraite. Montparnasse lui-même, qui était peut-être un peu le gendre de Thénardier, cédait. Un moment de plus, ils étaient partis. Thénardier haletait sur son mur comme les naufragés de la Méduse sur leur radeau en voyant le navire apparu s’évanouir à l’horizon.

Il n’osait les appeler, un cri entendu pouvait tout perdre, il eut une idée, une dernière, une lueur ; il prit dans sa poche le bout de la corde de Brujon qu’il avait détaché de la cheminée du Bâtiment-Neuf, et le jeta dans l’enceinte de la palissade.

Cette corde tomba à leurs pieds.

— Une veuve[1] ! dit Babet.

— Ma tortouse[2] ! dit Brujon.

— L’aubergiste est là, dit Montparnasse.

Ils levèrent les yeux. Thénardier avança un peu la tête.

— Vite ! dit Montparnasse, as-tu l’autre bout de la corde, Brujon ?

— Oui.

  1. Une corde (argot du Temple).
  2. Ma corde (argot des barrières).