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LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.

Babet ajouta, toujours dans ce sage argot classique que parlaient Poulailler et Cartouche, et qui est à l’argot hardi, nouveau, coloré et risqué dont usait Brujon ce que la langue de Racine est à la langue d’André Chénier :

— Ton orgue tapissier aura été fait marron dans l’escalier. Il faut être arcasien. C’est un galifard. Il se sera laissé jouer l’harnache par un roussin, peut-être même par un roussi qui lui aura battu comtois. Prête l’oche, Montparnasse, entends-tu ces criblements dans le collége ? Tu as vu toutes ces camoufles. Il est tombé, va ! Il en sera quitte pour tirer ses vingt longes. Je n’ai pas taf, je ne suis pas taffeur, c’est colombé, mais il n’y a plus qu’à faire les lézards, ou autrement on nous la fera gambiller. Ne renaude pas, viens avec nousiergue. Allons picter une rouillarde encible[1].

— On ne laisse pas les amis dans l’embarras, grommela Montparnasse.

— Je te bonis qu’il est malade, reprit Brujon. À l’heure qui toque, le tapissier ne vaut pas une broque ! Nous n’y pouvons rien. Décarrons. Je crois à tout moment qu’un cogne me cintre en pogne[2] !

Montparnasse ne résistait plus que faiblement ; le fait est que ces quatre hommes, avec cette fidélité qu’ont les ban-

  1. Ton aubergiste aura été pris sur le fait. Il faut être malin. C’est un apprenti. Il se sera laisser duper par un mouchard, peut-être même par un mouton, qui aura fait le compère. Écoute, Montparnasse, entends-tu ces cris dans la prison ? Tu as vu toutes ces chandelles. Il est repris, va ! Il en sera quitte pour faire ses vingt ans. Je n’ai pas peur, je ne suis pas un poltron, c’est connu, mais il n’y a plus qu’à fuir, ou autrement on nous la fera danser. Ne te fâche pas, viens avec nous, allons boire une bouteille de vieux vin ensemble.
  2. Je te dis qu’il est repris. À l’heure qu’il est, l’aubergiste ne vaut pas un liard. Nous n’y pouvons rien. Allons-nous en. Je crois à tout moment qu’un sergent de ville me tient dans sa main.