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LE PETIT GAVROCHE.

avec mes mômes. Une supposition que tu aurais besoin de moi une nuit, tu viendrais me trouver là. Je loge à l’entre-sol. Il n’y a pas de portier. Tu demanderas monsieur Gavroche.

— C’est bon, dit Montparnasse.

Et ils se séparèrent, Montparnasse cheminant vers la Grève et Gavroche vers la Bastille. Le petit de cinq ans, traîné par son frère que traînait Gavroche, tourna plusieurs fois la tête en arrière pour voir s’en aller « Porrichinelle ».

La phrase amphigourique par laquelle Montparnasse avait averti Gavroche de la présence du sergent de ville ne contenait pas d’autre talisman que l’assonance dig répétée cinq ou six fois sous des formes variées. Cette syllabe dig, non prononcée isolément, mais artistement mêlée aux mots d’une phrase, veut dire : — Prenons garde, on ne peut pas parler librement. — Il y avait en outre dans la phrase de Montparnasse une beauté littéraire qui échappa à Gavroche, c’est mon dogue, ma dague et ma digue, locution de l’argot du Temple qui signifie, mon chien, mon couteau et ma femme, fort usités parmi les pitres et les queues-rouges du grand siècle où Molière écrivait et où Callot dessinait.

Il y a vingt ans, on voyait encore dans l’angle sud-est de la place de la Bastille près de la gare du canal creusée dans l’ancien fossé de la prison-citadelle, un monument bizarre qui s’est effacé déjà de la mémoire des parisiens, et qui méritait d’y laisser quelque trace, car c’était une pensée du « membre de l’Institut, général en chef de l’armée d’Égypte ».