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Et voyant que le boulanger, après avoir examiné les trois soupeurs, avait pris un pain bis, il plongea profondément son doigt dans son nez avec une aspiration aussi impérieuse que s’il eût eu au bout du pouce la prise de tabac du grand Frédéric, et jeta au boulanger en plein visage cette apostrophe indignée :

— Keksekça ?

Ceux de nos lecteurs qui seraient tentés de voir dans cette interpellation de Gavroche au boulanger un mot russe ou polonais, ou l’un de ces cris sauvages que les Yoways et les Botocudos se lancent du bord d’un fleuve à l’autre à travers les solitudes, sont prévenus que c’est un mot qu’ils disent tous les jours (eux nos lecteurs) et qui tient lieu de cette phrase : qu’est-ce que c’est que cela ? Le boulanger comprit parfaitement et répondit :

— Eh mais ! c’est du pain, du très bon pain de deuxième qualité.

— Vous voulez dire du larton brutal[1], reprit Gavroche, calme et froidement dédaigneux. Du pain blanc, garçon ! du larton savonné ! je régale.

Le boulanger ne put s’empêcher de sourire, et tout en coupant le pain blanc, il les considérait d’une façon compatissante qui choqua Gavroche.

— Ah çà, mitron ! dit-il, qu’est-ce que vous avez donc à nous toiser comme ça ?

Mis tous trois bout à bout, ils auraient à peine fait une toise.

  1. Pain noir