Page:Hugo - Les Misérables Tome IV (1890).djvu/220

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Débarrassée est le mot. Il n’y avait chez cette femme qu’un fragment de nature. Phénomène dont il y a du reste plus d’un exemple. Comme la maréchale de La Mothe-Houdancourt, la Thénardier n’était mère que jusqu’à ses filles. Sa maternité finissait là. Sa haine du genre humain commençait à ses garçons. Du côté de ses fils sa méchanceté était à pic, et son cœur avait à cet endroit un lugubre escarpement. Comme on l’a vu, elle détestait l’aîné, elle exécrait les deux autres. Pourquoi ? Parce que. Le plus terrible des motifs et la plus indiscutable des réponses : Parce que. — Je n’ai pas besoin d’une tiaulée d’enfants, disait cette mère.

Expliquons comment les Thénardier étaient parvenus à s’exonérer de leurs deux derniers enfants, et même à en tirer profit.

Cette fille Magnon, dont il a été question quelques pages plus haut, était la même qui avait réussi à faire renter par le bonhomme Gillenormand les deux enfants qu’elle avait. Elle demeurait quai des Célestins, à l’angle de cette antique rue du Petit-Muse qui a fait ce qu’elle a pu pour changer en bonne odeur sa mauvaise renommée. On se souvient de la grande épidémie de croup qui désola, il y a trente-cinq ans, les quartiers riverains de la Seine à Paris, et dont la science profita pour expérimenter sur une large échelle l’efficacité des insufflations d’alun, si utilement remplacées aujourd’hui par la teinture externe d’iode. Dans cette épidémie, la Magnon perdit, le même jour, l’un le matin, l’autre le soir, ses deux garçons, encore en très bas âge. Ce fut un coup. Ces enfants étaient précieux à leur mère ; ils représentaient quatrevingts