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repousse ennui, l’aura supplice. Tu ne veux pas être ouvrier, tu seras esclave. Le travail ne vous lâche d’un côté que pour vous reprendre de l’autre ; tu ne veux pas être son ami, tu seras son nègre. Ah ! tu n’as pas voulu de la lassitude honnête des hommes, tu vas avoir la sueur des damnés. Où les autres chantent, tu râleras. Tu verras de loin, d’en bas, les autres hommes travailler ; il te semblera qu’ils se reposent. Le laboureur, le moissonneur, le matelot, le forgeron, t’apparaîtront dans la lumière comme les bienheureux d’un paradis. Quel rayonnement dans l’enclume ! Mener la charrue, lier la gerbe, c’est de la joie. La barque en liberté dans le vent, quelle fête ! Toi, paresseux, pioche, traîne, roule, marche ! Tire ton licou, te voilà bête de somme dans l’attelage de l’enfer ! Ah ! ne rien faire, c’était là ton but. Eh bien ! pas une semaine, pas une journée, pas une heure sans accablement. Tu ne pourras rien soulever qu’avec angoisse. Toutes les minutes qui passeront feront craquer tes muscles. Ce qui sera plume pour les autres sera pour toi rocher. Les choses les plus simple s’escarperont. La vie se fera monstre autour de toi. Aller, venir, respirer, autant de travaux terribles. Ton poumon te fera l’effet d’un poids de cent livres. Marcher ici plutôt que là, ce sera un problème à résoudre. Le premier venu qui veut sortir pousse sa porte, c’est fait, le voilà dehors. Toi, si tu veux sortir, il te faudra percer ton mur. Pour aller dans la rue, qu’est-ce que tout le monde fait ? Tout le monde descend l’escalier ; toi, tu déchireras tes draps de lit, tu en feras brin à brin une corde, puis tu passeras par ta fenêtre, et tu te suspendras à ce fil sur un abîme, et ce sera la nuit, dans l’orage,