Page:Hugo - Les Misérables Tome IV (1890).djvu/178

Cette page a été validée par deux contributeurs.

si terriblement qu’en un clin d’œil l’assaillant et l’assailli avaient changé de rôle.

— Voilà un fier invalide ! pensa Gavroche.

Et il ne put s’empêcher de battre des mains. Mais ce fut un battement de mains perdu. Il n’arriva pas jusqu’aux deux combattants, absorbés et assourdis l’un par l’autre et mêlant leurs souffles dans la lutte.

Le silence se fit. Montparnasse cessa de se débattre. Gavroche eut cet aparté : Est-ce qu’il est mort ?

Le bonhomme n’avait pas prononcé un mot ni jeté un cri. Il se redressa, et Gavroche l’entendit qui disait à Montparnasse :

— Relève-toi.

Montparnasse se releva, mais le bonhomme le tenait. Montparnasse avait l’attitude humiliée et furieuse d’un loup qui serait happé par un mouton.

Gavroche regardait et écoutait, faisant effort pour doubler ses yeux par ses oreilles. Il s’amusait énormément.

Il fut récompensé de sa consciencieuse anxiété de spectateur. Il put saisir au vol ce dialogue qui empruntait à l’obscurité on ne sait quel accent tragique. Le bonhomme questionnait. Montparnasse répondait.

— Quel âge as-tu ?

— Dix-neuf ans.

— Tu es fort et bien portant. Pourquoi ne travailles-tu pas ?

— Ça m’ennuie.

— Quel est ton état ?

— Fainéant.