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On n’était plus qu’à quelques tours de roue de la petite allée qui menait au coin des religieuses.

Le fossoyeur reprit :

— Paysan, j’ai sept mioches qu’il faut nourrir. Comme il faut qu’ils mangent, il ne faut pas que je boive.

Et il ajouta avec la satisfaction d’un être sérieux qui fait une phrase :

— Leur faim est ennemie de ma soif.

Le corbillard tourna un massif de cyprès, quitta la grande allée, en prit une petite, entra dans les terres et s’enfonça dans un fourré. Ceci indiquait la proximité immédiate de la sépulture. Fauchelevent ralentissait son pas, mais ne pouvait ralentir le corbillard. Heureusement la terre meuble, et mouillée par les pluies d’hiver, engluait les roues et alourdissait la marche.

Il se rapprocha du fossoyeur.

— Il y a un si bon petit vin d’Argenteuil, murmura Fauchelevent.

— Villageois, reprit l’homme, cela ne devrait pas être que je sois fossoyeur. Mon père était portier au Prytanée. Il me destinait à la littérature. Mais il a eu des malheurs. Il a fait des pertes à la Bourse. J’ai dû renoncer à l’état d’auteur. Pourtant je suis encore écrivain public.

— Mais vous n’êtes donc pas fossoyeur ? repartit Fauchelevent, se raccrochant à cette branche, bien faible.

— L’un n’empêche pas l’autre. Je cumule.

Fauchelevent ne comprit pas ce dernier mot.

— Venons boire, dit-il.