Page:Hugo - Les Misérables Tome II (1890).djvu/326

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui, la nécessité de régler son pas sur le pas d’un enfant, tout cela, à son insu même, avait changé la démarche de Jean Valjean et imprimé à son habitude de corps une telle sénilité que la police elle-même, incarnée dans Javert, pouvait s’y tromper, et s’y trompa. L’impossibilité d’approcher de trop près, son costume de vieux précepteur émigré, la déclaration de Thénardier qui le faisait grand-père, enfin la croyance de sa mort au bagne, ajoutaient encore aux incertitudes qui s’épaississaient dans l’esprit de Javert.

Il eut un moment l’idée de lui demander brusquement ses papiers. Mais si cet homme n’était pas Jean Valjean, et si cet homme n’était pas un bon vieux rentier honnête, c’était probablement quelque gaillard profondément et savamment mêlé à la trame obscure des méfaits parisiens, quelque chef de bande dangereux, faisant l’aumône pour cacher ses autres talents, vieille rubrique. Il avait des affidés, des complices, des logis en-cas où il allait se réfugier sans doute. Tous ces détours qu’il faisait dans les rues semblaient indiquer que ce n’était pas un simple bonhomme. L’arrêter trop vite, c’était « tuer la poule aux œufs d’or ». Où était l’inconvénient d’attendre ? Javert était bien sûr qu’il n’échapperait pas.

Il cheminait donc assez perplexe, en se posant cent questions sur ce personnage énigmatique.

Ce ne fut qu’assez tard, rue de Pontoise, que, grâce à la vive clarté que jetait un cabaret, il reconnut décidément Jean Valjean.

Il y a dans ce monde deux êtres qui tressaillent pro-