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saillement. Il lui sembla qu’il venait d’entrevoir, à la lueur du réverbère, non le visage placide et béat du vieux bedeau, mais une figure effrayante et connue. Il eut l’impression qu’on aurait en se trouvant tout à coup dans l’ombre face à face avec un tigre. Il recula terrifié et pétrifié, n’osant ni respirer, ni parler, ni rester, ni fuir, considérant le mendiant qui avait baissé sa tête couverte d’une loque et paraissait ne plus savoir qu’il était là. Dans ce moment étrange, un instinct, peut-être l’instinct mystérieux de la conservation, fit que Jean Valjean ne prononça pas une parole. Le mendiant avait la même taille, les mêmes guenilles, la même apparence que tous les jours. — Bah !… dit Jean Valjean, je suis fou ! je rêve ! impossible ! — Et il rentra profondément troublé.

C’est à peine s’il osait s’avouer à lui-même que cette figure qu’il avait cru voir était la figure de Javert.

La nuit, en y réfléchissant, il regretta de n’avoir pas questionné l’homme pour le forcer à lever la tête une seconde fois.

Le lendemain à la nuit tombante il y retourna. Le mendiant était à sa place. — Bonjour, bonhomme, dit résolûment Jean Valjean en lui donnant un sou. Le mendiant leva la tête, et répondit d’une voix dolente : — Merci, mon bon monsieur. — C’était bien le vieux bedeau.

Jean Valjean se sentit pleinement rassuré. Il se mit à rire.

Où diable ai-je été voir là Javert ? pensa-t-il. Ah çà, est-ce que je vais avoir la berlue à présent ? — Il n’y songea plus.

Quelques jours après, il pouvait être huit heures du soir, il était dans sa chambre et il faisait épeler Cosette à haute