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qu’on ne nous répond plus. Il faut croire que sa mère est morte.

— Ah ! dit l’homme, et il retomba dans sa rêverie.

— C’était une pas grand’chose que cette mère, ajouta la Thénardier. Elle abandonnait son enfant.

Pendant toute cette conversation, Cosette, comme si un instinct l’eût avertie qu’on parlait d’elle, n’avait pas quitté des yeux la Thénardier. Elle écoutait vaguement. Elle entendait çà et là quelques mots.

Cependant les buveurs, tous ivres aux trois quarts, répétaient leur refrain immonde avec un redoublement de gaîté. C’était une gaillardise de haut goût où étaient mêlés la Vierge et l’enfant Jésus. La Thénardier était allée prendre sa part des éclats de rire. Cosette, sous la table, regardait le feu qui se réverbérait dans son œil fixe ; elle s’était remise à bercer l’espèce de maillot qu’elle avait fait, et, tout en le berçant, elle chantait à voix basse : — Ma mère est morte ! ma mère est morte ! ma mère est morte !

Sur de nouvelles instances de l’hôtesse, l’homme jaune, « le millionnaire », consentit enfin à souper.

— Que veut monsieur ?

— Du pain et du fromage, dit l’homme.

— Décidément, c’est un gueux, pensa la Thénardier.

Les ivrognes chantaient toujours leur chanson, et l’enfant, sous la table, chantait aussi la sienne.

Tout à coup Cosette s’interrompit. Elle venait de se retourner et d’apercevoir la poupée des petites Thénardier qu’elles avaient quittée pour le chat et laissée à terre à quelques pas de la table de cuisine.