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La poupée des sœurs Thénardier était très fanée et très vieille et toute cassée, mais elle n’en paraissait pas moins admirable à Cosette, qui de sa vie n’avait eu une poupée, une vraie poupée, pour nous servir d’une expression que tous les enfants comprendront.

Tout à coup, la Thénardier, qui continuait d’aller et de venir dans la salle, s’aperçut que Cosette avait des distractions et qu’au lieu de travailler elle s’occupait des petites qui jouaient.

— Ah ! je t’y prends ! cria-t-elle. C’est comme cela que tu travailles ! Je vais te faire travailler à coups de martinet, moi.

L’étranger, sans quitter sa chaise, se tourna vers la Thénardier.

— Madame, dit-il en souriant d’un air presque craintif, bah ! laissez-la jouer !

De la part de tout voyageur qui eût mangé une tranche de gigot et bu deux bouteilles de vin à son souper et qui n’eût pas eu l’air d’un affreux pauvre, un pareil souhait eût été un ordre. Mais qu’un homme qui avait ce chapeau se permît d’avoir un désir et qu’un homme qui avait cette redingote se permît d’avoir une volonté, c’est ce que la Thénardier ne crut pas devoir tolérer. Elle repartit aigrement :

— Il faut qu’elle travaille puisqu’elle mange. Je ne la nourris pas à rien faire.

— Qu’est-ce qu’elle fait donc ? reprit l’étranger de cette voix douce qui contrastait si étrangement avec ses habits de mendiant et ses épaules de portefaix.