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par éclairs. Il avait des aphorismes professionnels qu’il insérait dans l’esprit de sa femme. — « Le devoir de l’aubergiste, lui disait-il un jour violemment et à voix basse, c’est de vendre au premier venu du fricot, du repos, de la lumière, du feu, des draps sales, de la bonne, des puces, du sourire ; d’arrêter les passants, de vider les petites bourses et d’alléger honnêtement les grosses, d’abriter avec respect les familles en route, de râper l’homme, de plumer la femme, d’éplucher l’enfant ; de coter la fenêtre ouverte, la fenêtre fermée, le coin de la cheminée, le fauteuil, la chaise, le tabouret, l’escabeau, le lit de plume, le matelas et la botte de paille ; de savoir de combien l’ombre use le miroir et de tarifer cela, et, par les cinq cent mille diables, de faire tout payer au voyageur, jusqu’aux mouches que son chien mange ! »

Cet homme et cette femme, c’était ruse et rage mariées ensemble, attelage hideux et terrible.

Pendant que le mari ruminait et combinait, la Thénardier, elle, ne pensait pas aux créanciers absents, n’avait souci d’hier ni de demain, et vivait avec emportement, toute dans la minute.

Tels étaient ces deux êtres. Cosette était entre eux, subissant leur double pression, comme une créature qui serait à la fois broyée par une meule et déchiquetée par une tenaille. L’homme et la femme avaient chacun une manière différente ; Cosette était rouée de coups, cela venait de la femme ; elle allait pieds nus l’hiver, cela venait du mari.

Cosette montait, descendait, lavait, brossait, frottait, balayait, courait, trimait, haletait, remuait des choses