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fait quelque apparition. Boulatruelle l’a vu, et cherche. Au fait, il est fichu pour empoigner le magot de Lucifer. — Les voltairiens ajoutaient : Sera-ce Boulatruelle qui attrapera le diable, ou le diable qui attrapera Boulatruelle ? — Les vieilles femmes faisaient beaucoup de signes de croix.

Cependant les manèges de Boulatruelle dans le bois cessèrent, et il reprit régulièrement son travail de cantonnier. On parla d’autre chose.

Quelques personnes toutefois étaient restées curieuses, pensant qu’il y avait probablement dans ceci, non point les fabuleux trésors de la légende, mais quelque bonne aubaine, plus sérieuse et plus palpable que les billets de banque du diable, et dont le cantonnier avait sans doute surpris à moitié le secret. Les plus « intrigués » étaient le maître d’école et le gargotier Thénardier, lequel était l’ami de tout le monde et n’avait point dédaigné de se lier avec Boulatruelle.

— Il a été aux galères ? disait Thénardier. Eh ! mon Dieu ! on ne sait ni qui y est, ni qui y sera.

Un soir le maître d’école affirmait qu’autrefois la justice se serait enquise de ce que Boulatruelle allait faire dans le bois, et qu’il aurait bien fallu qu’il parlât, et qu’on l’aurait mis à la torture au besoin, et que Boulatruelle n’aurait point résisté, par exemple, à la question de l’eau. — Donnons-lui la question du vin, dit Thénardier.

On se mit à quatre et l’on fit boire le vieux cantonnier. Boulatruelle but énormément, et parla peu. Il combina, avec un art admirable et dans une proportion magistrale, la soif d’un goinfre avec la discrétion d’un juge. Cependant, à force de revenir à la charge, et de rapprocher et de presser les