Page:Hugo - Les Misérables Tome II (1890).djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
LES MISÉRABLES. — COSETTE.

La porte septentrionale, enfoncée par les français, et à laquelle on a mis une pièce pour remplacer le panneau suspendu à la muraille, s’entrebâille au fond du préau ; elle est coupée carrément dans un mur, de pierre en bas, de brique en haut, qui ferme la cour au nord. C’est une simple porte charretière comme il y en a dans toutes les métairies, deux larges battants faits de planches rustiques ; au delà, des prairies. La dispute de cette entrée a été furieuse. On a longtemps vu sur le montant de la porte toutes sortes d’empreintes de mains sanglantes. C’est là que Bauduin fut tué.

L’orage du combat est encore dans cette cour ; l’horreur y est visible ; le bouleversement de la mêlée s’y est pétrifié ; cela vit, cela meurt ; c’était hier. Les murs agonisent, les pierres tombent, les brèches crient ; les trous sont des plaies ; les arbres penchés et frissonnants semblent faire effort pour s’enfuir.

Cette cour, en 1815, était plus bâtie qu’elle ne l’est aujourd’hui. Des constructions qu’on a depuis jetées bas y faisaient des redans, des angles et des coudes d’équerre.

Les anglais s’y étaient barricadés ; les français y pénétrèrent, mais ne purent s’y maintenir. À côté de la chapelle, une aile du château, le seul débris qui reste du manoir d’Hougomont, se dresse écroulée, on pourrait dire éventrée. Le château servit de donjon, la chapelle servit de blockhaus. On s’y extermina. Les français, arquebusés de toutes parts, de derrière les murailles, du haut des greniers, du fond des caves, par toutes les croisées, par tous les soupiraux, par toutes les fentes des pierres, apportèrent des fascines et