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sortit huit jours de suite avec sa rosette. On n’osa point l’inquiéter. Deux ou trois fois le ministre de la guerre et le général commandant le département lui écrivirent avec cette suscription : À monsieur le commandant Pontmercy. Il renvoya les lettres non décachetées. En ce même moment Napoléon à Sainte-Hélène traitait de la même façon les missives de sir Hudson Lowe adressées au général Bonaparte. Pontmercy avait fini, qu’on nous passe le mot, par avoir dans la bouche la même salive que son empereur.

Il y avait ainsi à Rome des soldats carthaginois prisonniers qui refusaient de saluer Flaminius et qui avaient un peu de l’âme d’Annibal.

Un matin, il rencontra le procureur du roi dans une rue de Vernon, alla à lui, et lui dit : — Monsieur le procureur du roi, m’est-il permis de porter ma balafre ?

Il n’avait rien, que sa très chétive demi-solde de chef d’escadron. Il avait loué à Vernon la plus petite maison qu’il avait pu trouver. Il y vivait seul, on vient de voir comment. Sous l’Empire, entre deux guerres, il avait trouvé le temps d’épouser mademoiselle Gillenormand. Le vieux bourgeois, indigné au fond, avait consenti en soupirant et en disant : Les plus grandes familles y sont forcées. En 1815, madame Pontmercy, femme du reste de tout point admirable, élevée et rare et digne de son mari, était morte, laissant un enfant. Cet enfant eût été la joie du colonel dans sa solitude ; mais l’aïeul avait impérieusement réclamé son petit-fils, déclarant que, si on ne le lui donnait pas, il le déshériterait. Le père avait cédé dans l’intérêt du petit, et, ne pouvant avoir son enfant, il s’était mis à aimer les fleurs.