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à la condition que ladite mère ne recommencerait plus. Il ajouta : « J’entends que la mère les traite bien. Je les irai voir de temps en temps. » Ce qu’il fit. Il avait eu un frère prêtre, lequel avait été trente-trois ans recteur de l’académie de Poitiers, et était mort à soixante-dix-neuf ans. Je l’ai perdu jeune, disait-il. Ce frère, dont il est resté peu de souvenir, était un paisible avare, qui, étant prêtre, se croyait obligé de faire l’aumône aux pauvres qu’il rencontrait, mais il ne leur donnait jamais que des monnerons ou des sous démonétisés, trouvant ainsi moyen d’aller en enfer par le chemin du paradis. Quant à M. Gillenormand aîné, il ne marchandait pas l’aumône et donnait volontiers, et noblement. Il était bienveillant, brusque, charitable, et s’il eût été riche, sa pente eût été le magnifique. Il voulait que tout ce qui le concernait fût fait grandement, même les friponneries. Un jour, dans une succession, ayant été dévalisé par un homme d’affaires d’une manière grossière et visible, il jeta cette exclamation solennelle : — « Fi ! c’est malproprement fait ! j’ai vraiment honte de ces grivelleries. Tout a dégénéré dans ce siècle, même les coquins. Morbleu ! ce n’est pas ainsi qu’on doit voler un homme de ma sorte. Je suis volé comme dans un bois, mais mal volé. Sylvæ sint consule dignæ ! » — Il avait eu, nous l’avons dit, deux femmes ; de la première une fille qui était restée fille, et de la seconde une autre fille, morte vers l’âge de trente ans, laquelle avait épousé par amour ou par hasard ou autrement un soldat de fortune qui avait servi dans les armées de la république et de l’empire, avait eu la croix à Austerlitz et avait été fait colonel à Waterloo. C’est la honte de ma