mari. » Cette théorie, M. Gillenormand se l’était appliquée, et elle était devenue son histoire. Sa femme, la deuxième, avait administré sa fortune de telle façon qu’il restait à M. Gillenormand, quand un beau jour il se trouva veuf, juste de quoi vivre, en plaçant presque tout en viager, une quinzaine de mille francs de rente dont les trois quarts devaient s’éteindre avec lui. Il n’avait pas hésité, peu préoccupé du souci de laisser un héritage. D’ailleurs il avait vu que les patrimoines avaient des aventures, et, par exemple, devenaient des biens nationaux, il avait assisté aux avatars du tiers consolidé, et il croyait peu au grand livre. — Rue Quincampoix que tout cela ! disait-il. Sa maison de la rue des Filles-du-Calvaire, nous l’avons dit, lui appartenait. Il avait deux domestiques, « un mâle et une femelle ». Quand un domestique entrait chez lui, M. Gillenormand le rebaptisait. Il donnait aux hommes le nom de leur province : Nimois, Comtois, Poitevin, Picard. Son dernier valet était un gros homme fourbu et poussif de cinquante-cinq ans, incapable de courir vingt pas, mais, comme il était né à Bayonne, M. Gillenormand l’appelait Basque. Quant aux servantes, toutes s’appelaient chez lui Nicolette (même la Magnon dont il sera question plus loin). Un jour une fière cuisinière, cordon bleu, de haute race de concierges, se présenta. — Combien voulez-vous gagner de gages par mois ? lui demanda M. Gillenormand. — Trente francs. — Comment vous nommez-vous ? — Olympie. — Tu auras cinquante francs, et tu t’appelleras Nicolette.
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