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dans un compartiment séparé, il posa son doigt sur ce compartiment, et dit :

— La Corse. Une petite île qui a fait la France bien grande.

Ce fut le souffle d’air glacé. Tous s’interrompirent. On sentit que quelque chose allait commencer.

Bahorel, ripostant à Bossuet, était en train de prendre une pose de torse à laquelle il tenait. Il y renonça pour écouter.

Enjolras, dont l’œil bleu n’était attaché sur personne et semblait considérer le vide, répondit sans regarder Marius :

— La France n’a besoin d’aucune Corse pour être grande. La France est grande parce qu’elle est la France. Quia nominor leo.

Marius n’éprouva nulle velléité de reculer ; il se tourna vers Enjolras, et sa voix éclata avec une vibration qui venait du tressaillement des entrailles :

— À Dieu ne plaise que je diminue la France ! mais ce n’est point la diminuer que de lui amalgamer Napoléon. Ah çà, parlons donc. Je suis nouveau venu parmi vous, mais je vous avoue que vous m’étonnez. Où en sommes-nous ? qui sommes-nous ? qui êtes-vous ? qui suis-je ? Expliquons-nous sur l’empereur. Je vous entends dire Buonaparte en accentuant l’u comme des royalistes. Je vous préviens que mon grand-père fait mieux encore ; il dit Buonaparté. Je vous croyais des jeunes gens. Où mettez-vous donc votre enthousiasme ? et qu’est-ce que vous en faites ? qui admirez-vous si vous n’admirez pas l’empereur ? et que vous faut-il de plus ? Si vous ne voulez pas de ce grand homme-là, de quels