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Cependant, occupé de cette étude qui lui prenait tous ses instants comme toutes ses pensées, il ne voyait presque plus les Gillenormand. Aux heures des repas, il paraissait ; puis on le cherchait, il n’était plus là. La tante bougonnait. Le père Gillenormand souriait. — Bah ! bah ! c’est le temps des fillettes ! — Quelquefois le vieillard ajoutait : — Diable ! je croyais que c’était une galanterie, il paraît que c’est une passion.

C’était une passion en effet. Marius était en train d’adorer son père.

En même temps un changement extraordinaire se faisait dans ses idées. Les phases de ce changement furent nombreuses et successives. Comme ceci est l’histoire de beaucoup d’esprits de notre temps, nous croyons utile de suivre ces phases pas à pas et de les indiquer toutes.

Cette histoire où il venait de mettre les yeux l’effarait.

Le premier effet fut l’éblouissement.

La république, l’empire, n’avaient été pour lui jusqu’alors que des mots monstrueux. La république, une guillotine dans un crépuscule ; l’empire, un sabre dans la nuit. Il venait d’y regarder, et là où il s’attendait à ne trouver qu’un chaos de ténèbres, il avait vu, avec une sorte de surprise inouïe mêlée de crainte et de joie, étinceler des astres, Mirabeau, Vergniaud, Saint-Just, Robespierre, Camille Desmoulins, Danton, et se lever un soleil, Napoléon. Il ne savait où il en était. Il reculait aveuglé de clartés. Peu à peu, l’étonnement passé, il s’accoutuma à ces rayonnements, il considéra les actions sans vertige, il examina les personnages sans terreur ; la révolution et l’empire se mirent