Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/471

Cette page a été validée par deux contributeurs.

À CELLE QUI EST RESTÉE EN FRANCE



I


Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange
Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d’ange,
Ouvre tes mains, et prends ce livre : il est à toi.

Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi,
Ce livre qui contient le spectre de ma vie,
Mes angoisses, mon aube, hélas ! de pleurs suivie,
L’ombre et son ouragan, la rose et son pistil,
Ce livre azuré, triste, orageux, d’où sort-il ?
D’où sort le blême éclair qui déchire la brume ?
Depuis quatre ans, j’habite un tourbillon d’écume ;
Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j’écrivais ;
Car je suis paille au vent. Va ! dit l’esprit. Je vais.
Et, quand j’eus terminé ces pages, quand ce livre
Se mit à palpiter, à respirer, à vivre,
Une église des champs, que le lierre verdit,
Dont la tour sonne l’heure à mon néant, m’a dit :
Ton cantique est fini ; donne-le-moi, poëte.
― Je le réclame, a dit la forêt inquiète ;
Et le doux pré fleuri m’a dit : ― Donne-le-moi.
La mer, en le voyant frémir, m’a dit : ― Pourquoi
Ne pas me le jeter, puisque c’est une voile !
― C’est à moi qu’appartient cet hymne, a dit l’étoile.