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Un crâne infect et noir, dit : Je suis Cléopâtre.
Et, hibou, malgré l’aube, ours, en bravant le pâtre,
Elle accomplit la loi qui l’enchaîne d’en haut ;
Pierre, elle écrase ; épine, elle pique ; il le faut.
Le monstre est enfermé dans son horreur vivante.
Il aurait beau vouloir dépouiller l’épouvante ;
Il faut qu’il reste horrible et reste châtié ;
Ô mystère ! le tigre a peut-être pitié !
Le tigre sur son dos, qui peut-être eut une aile,
À l’ombre des barreaux de la cage éternelle ;
Un invisible fil lie aux noirs échafauds
Le noir corbeau dont l’aile est en forme de faulx ;
L’âme louve ne peut s’empêcher d’être louve.
Car le monstre est tenu, sous le ciel qui l’éprouve,
Dans l’expiation par la fatalité.
Jadis, sans la comprendre et d’un œil hébété,
L’Inde a presque entrevu cette métempsycose.
La ronce devient griffe, et la feuille de rose
Devient langue de chat, et, dans l’ombre et les cris,
Horrible, lèche et boit le sang de la souris ;
Qui donc connaît le monstre appelé mandragore ?
Qui sait ce que, le soir, éclaire le fulgore,
Être en qui la laideur devient une clarté ?
Ce qui se passe en l’ombre où croît la fleur d’été
Efface la terreur des antiques avernes.
Étages effrayants ! cavernes sur cavernes.
Ruche obscure du mal, du crime et du remord !

Donc, une bête va, vient, rugit, hurle, mord ;
Un arbre est là, dressant ses branches hérissées,
Une dalle s’effondre au milieu des chaussées
Que la charrette écrase et que l’hiver détruit,
Et, sous ces épaisseurs de matière et de nuit,
Arbre, bête, pavé, poids que rien ne soulève,
Dans cette profondeur terrible, une âme rêve !

Que fait-elle ? Elle songe à Dieu !