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La femme nue ayant les hanches découvertes,
Chair qui tente l’esprit, rit sous les feuilles vertes ;
N’allons pas rire à son côté.
Ne chantons pas : — Jouir est tout. Le ciel est vide. —
La nuit a peur, vous dis-je ! elle devient livide
En contemplant l’immensité.

Ô douleur ! clef des cieux ! L’ironie est fumée.
L’expiation rouvre une porte fermée ;
Les souffrances sont des faveurs.
Regardons, au-dessus des multitudes folles,
Monter vers les gibets et vers les auréoles
Les grands sacrifiés rêveurs.

Monter, c’est s’immoler. Toute cime est sévère.
L’Olympe lentement se transforme en Calvaire ;
Partout le martyre est écrit ;
Une immense croix gît dans notre nuit profonde ;
Et nous voyons saigner aux quatre coins du monde
Les quatre clous de Jésus-Christ.

Ah ! vivants, vous doutez ! ah ! vous riez, squelettes !
Lorsque l’aube apparaît, ceinte de bandelettes
D’or, d’émeraude et de carmin,
Vous huez, vous prenez, larves que le jour dore,
Pour la jeter au front céleste de l’aurore,
De la cendre dans votre main.

Vous criez : — Tout est mal. L’aigle vaut le reptile.
Tout ce que nous voyons n’est qu’une ombre inutile.
La vie au néant nous vomit.
Rien avant, rien après. Le sage doute et raille. —
Et, pendant ce temps-là, le brin d’herbe tressaille,
L’aube pleure, et le vent gémit.