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Et, bouc qui bêle, agneau qui danse,
Dorment dans les bois hasardeux
Sous ce grand spectre Providence
Qu’ils sentent debout auprès d’eux.


*


Le pâtre songe, solitaire
Pauvre et nu, mangeant son pain bis ;
Il ne connaît rien de la terre
Que ce que broute la brebis.

Pourtant, il sait que l’homme souffre ;
Mais il sonde l’éther profond.
Toute solitude est un gouffre,
Toute solitude est un mont.

Dès qu’il est debout sur ce faîte,
Le ciel reprend cet étranger ;
La Judée avait le prophète,
La Chaldée avait le berger.

Ils tâtaient le ciel l’un et l’autre ;
Et, plus tard, sous le feu divin,
Du prophète naquit l’apôtre,
Du pâtre naquit le devin.

La foule raillait leur démence ;
Et l’homme dut, aux jours passés,
À ces ignorants la science,
La sagesse à ces insensés.

La nuit voyait, témoin austère,
Se rencontrer sur les hauteurs,
Face à face dans le mystère,
Les prophètes et les pasteurs.