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Un Paris qu’on refait tout à neuf, des voitures
À huit chevaux, entrant dans le Louvre à grand bruit,
Des fêtes tout le jour, des bals toute la nuit,
Des lampions, des jeux, des spectacles ; en somme,
Tu t’es prostituée à ce misérable homme !

Tout ce que tu conquis est tombé de tes mains ;
On dit les vieux français comme les vieux romains,
Et leur nom fait songer leurs fils rouges de honte ;
Le monde aimait ta gloire et t’en demande compte,
Car il se réveillait au bruit de ton clairon.
Tu contemples d’un œil abruti ton Néron
Qu’entourent des Romieux déguisés en Sénèques ;
Tu te complais à voir brailler ce tas d’évêques
Qui, pendant que César se vautre en son harem,
Entonnent leur Salvum fac imperatorem.
(Au fait, faquin devait se trouver dans la phrase.)
Ton âme est comme un chien sous le pied qui l’écrase ;
Ton fier quatrevingt-neuf reçoit des coups de fouet
D’un gueux qu’hier encor l’Europe bafouait.
Tes propres souvenirs, folle, tu les lapides.
La Marseillaise est morte à tes lèvres stupides.
Ton Champ de Mars subit ces vainqueurs répugnants,
Ces Maupas, ces Fortouls, ces Bertrands, ces Magnans,
Tous ces tueurs portant le tricorne en équerre,
Et Korte, et Carrelet, et Canrobert Macaire.
Tu n’es plus rien ; c’est dit, c’est fait, c’est établi.
Tu ne sais même plus, dans ce lugubre oubli
Quelle est la nation qui brisa la Bastille.
On te voit le dimanche aller à la Courtille,