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Princes, mon cœur se serre en vous voyant, car j'aime
Le soleil sans brouillard, l'homme sans stratagème.
Vous avez l'appétit large, le front étroit,
Le mépris de tout frein, la haine de tout droit,
Et pour sceptre un couteau de boucher. Quelle histoire !
Quels jours ! Les gros butins se citent comme gloire.
Vous régnez en tuant sans jamais dire : assez !
Ô pillards, si souvent de meurtre éclaboussés
Que la rouille vous vient plus haut que la jambière !
Toujours ivres ; buveurs de vin, buveurs de bière,
Buveurs de sang ; couards en même temps ; vivant
Dans on ne sait quel luxe abject, lâche, énervant ;
Car la férocité, que la volupté mine,
Devient facilement chair molle et s'effémine ;
Aujourd'hui tout déchoit dans notre fier métier ;
Pour faire une cuirasse on prend un bijoutier,
De sorte que l'armure a peur d'être battue.
C'est ordinairement par derrière qu'on tue.
Vos plus fameux exploits et vos plus triomphants
Sont des dépouillements de femmes et d'enfants,
Des introductions dans les pays par fraude,
Les brusques coups de dent de la fouine qui rôde,
D'attaquer ceux qu'on a d'abord bien endormis,
D'arriver ennemis sous des masques d'amis ;
Faits honteux pour l'épée et pour la seigneurie,
Vils, et dont je vous veux laisser la rêverie.
Quant à moi, si j'étais l'un des rois que voilà,
Je ne porterais point légèrement cela ;