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Les hommes de mon temps faisaient la guerre franche.
Tout l'arbre tressaillait quand ils cassaient la branche,
Et, quand ils coupaient l'arbre avec leur couperet,
C'était au tremblement de toute la forêt ;
Car ces hommes étaient des bûcherons sublimes.
Les survivants, et ceux que nous ensevelîmes,
Sont dans le souvenir des peuples à jamais.
Les hommes de mon temps hantaient les hauts sommets ;
Ils allaient droit au mur et donnaient l'escalade ;
Ils méprisaient la nuit, le piége, l'embuscade ;
Quand on leur demandait : Quel compagnon hardi
Emmenez-vous en guerre ? ils disaient : Plein midi.
C'étaient, sous l'humble serge ou l'hermine royale,
Les bons et grands enfants de la guerre loyale.
Ils n'étaient pas de ceux qui s'endorment longtemps ;
Hors du danger auguste ils étaient mécontents ;
Ils ne quittaient l'épieu que pour prendre la hache ;
Car l'immobilité ne sied point au panache,
Ni la rouille à l'éclair du glaive, et le repos
N'est pas fait pour les plis orageux des drapeaux.
Quand ils s'en revenaient des combats, leurs armures
Étaient rouges ainsi que des grenades mûres,
Et leurs femmes trouvaient le soir sous leur pourpoint
De larges trous saignants dont ils ne parlaient point.
De tout bien mal acquis ils disaient : qu'on le rende !
Ils ne trouvaient jamais de distance assez grande