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On tombe, on voit passer des formes effarées, Bouches ouvertes, fronts ruisselants de sueur, Des visages hideux qu'éclaire une lueur. Puis on ne voit plus rien. Tout s'efface et recule, La nuit morne succède au sombre crépuscule. On tombe. On n'est pas seul dans ces limbes d'en bas ; On sent frissonner ceux qu'on ne distingue pas ; On ne sait si ce sont des hydres ou des hommes ; On se sent devenir les larves que nous sommes ; On entrevoit l'horreur des lieux inaperçus, Et l'abîme au-dessous, et l'abîme au-dessus. Puis tout est vide ! On est le grain que le vent sème. On n'entend pas le cri qu'on a poussé soi-même ; On sent les profondeurs qui s'emparent de vous ; Les mains ne peuvent plus atteindre les genoux ; On lève au ciel les yeux et l'on voit l'ombre horrible. On est dans l'impalpable, on est dans l'invisible ; Des souffles par moments passent dans cette nuit. Puis on ne sent plus rien. — Pas un vent, pas un bruit, Pas un souffle ; la mort, la nuit ; nulle rencontre ; Rien, pas même une chute affreuse ne se montre. Et l'on songe à la vie, au soleil, aux amours, Et l'on pense toujours, et l'on tombe toujours ! Et le froid du néant lentement vous pénètre ! Vivants ! tomber, tomber, et tomber, sans connaître Où l'on va, sans savoir où les autres s'en vont ! Une chute sans fin dans une nuit sans fond, Voilà l'enfer.