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Par vous, les tout-puissants et les forts, c’est par vous
Que nous avons l’infâme écorchure aux genoux,
Que nous sommes abjects, sinistres, incurables,
Et que notre misère est faite, ô misérables !
Aussi, je vous le dis, rois, nous vous détestons !
Nous rampons dans la cave éternelle à tâtons,
Notre prunelle luit, nous sommes dans nos antres,
Maigres, pensifs, avec nos petits sous nos ventres,
Et nous songeons à vous, les rois et les barons,
Et nous vous exécrons et nous vous abhorrons !

Mais nous sommes pourtant façonnés de la sorte
Que demain, s’il advient, rois, que l’un de vous sorte
Tout à coup de la nuit avec un astre au front,
S’il est pour secourir son pays brave et prompt,
Ou s’il chante, toujours jeune et beau, malgré l’âge,
S’il est le roi David, s’il est le roi Pélage,
Nous sommes éblouis ! les oublis, les pardons,
Nous remplissent le cœur, et nous ne demandons
Rien à celui-là, rien ! Malgré notre souffrance,
S’il est grand par l’idée ou par la délivrance,
Nous l’aimons ! nous aimons sa lyre ! nous aimons
Son glaive flamboyant dans l’ombre sur les monts !
Nous pourrions lui garder rancune de vous autres ;
Mais non, nous devenons ses soldats, ses apôtres,
Ses légions, son camp, sa tribu, ses amis.
Nous lui sommes acquis, nous lui sommes soumis,