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Est-ce que vous croyez que nous vous aimons, vous !
Nous vassaux, vous les rois ! nous moutons, vous les loups ?
Ah ! vraiment, ce serait curieux que des hommes
Hideux, désespérés, hagards comme nous sommes,
Nus sous leurs toits infects et leurs haillons crasseux,
Se prissent de tendresse et d’extase pour ceux
Qui les mangent, pour ceux dont leur chair est la proie,
Qui construisent avec leur douleur de la joie,
Et qui, repus, gorgés, triomphants, gais, charmants,
Bâtissent des palais avec leurs ossements !
Vous fourmillez sur nous ! vous pullulez horribles !
Ce serait un miracle à mettre dans les bibles
Que nous vous bénissions pour être dévorants
À nos dépens ; qu’un peuple eût le goût des tyrans,
Qu’une nation fût de sa honte complice,
Que la suppliciée admirât le supplice
Comme une femme adore et baise son époux,
Et qu’un lion devînt amoureux de ses poux !
Vos vices, ô tyrans, ont pour lustre vos crimes ;
Quand les rois, débauchés, ivrognes, bas, infimes,
Se sentent dégradés et vils à tous les yeux,
Vite en guerre ! et voilà des hommes glorieux !
C’est avec notre sang que leur fange se lave.
Par vous l’homme est reptile et le peuple est esclave ;
Car par vous, j’en atteste ici le bleu matin,
J’en atteste l’affreux mystère du destin
Qui pèse sur nous tous et qui nous environne,
Par vous, les porte-sceptre et les porte-couronne,