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Plane sur les humains d’une aile modérée
Et s’arrête à l’endroit où s’achève ma faim,
Et que je ne fais rien que ce que font enfin
Les gais oiseaux du ciel sous l’orme et sous l’érable,
Pour n’être point méchant je me sens vénérable.
Oui, je suis un mortel doué de facultés
Que n’ont pas bien des rois dans le marbre sculptés ;
Un baïoque, métal inerte, simple cuivre,
S’il me sent là, devient vivant, cherche à me suivre,
Et la monnaie en moi voit son Pygmalion ;
Et les sous des bourgeois qui sans rébellion,
Sans bruit, reconnaissant un chef à mon approche,
Les quittent pour venir tendrement dans ma poche,
Représentent, seigneur, de ma part tant de soins,
Tant d’adresse, un si beau scrupule en mes besoins,
Et tant de glissements d’anguille et de couleuvre,
Qu’ils sont chez eux des sous et chez moi des chefs-d’œuvre.
Ah ! quel art que le mien ! Mon collaborateur,
Dieu, qui met le possible, ô prince, à ma hauteur,
Sait tout ce qu’il me faut de calcul, d’industrie,
D’héroïsme, d’aplomb, de haute rêverie,
De sourires au sort bourru, de doux regards
À la fortune, fille aimable aux yeux hagards,
De patience auguste et d’étude acharnée,
Et de travaux, pour faire, au bout d’une journée
De pas errants, d’essais puissants, d’efforts hardis,
Changer de maître à deux ou trois maravédis !