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N’a rien que la main droite, et tout au plus la gauche,
Ce qui fait que toi, prince, homme, auguste animal,
Tu portes bien la force et la justice mal ;
Alors j’ai médité, voulant dépasser l’homme ;
Et, sûr de mon bon droit, mais d’emphase économe,
Bienveillant, point hâbleur, discret sous le ciel bleu,
Réparateur obscur des lacunes de Dieu,
À force de songer et de vouloir, à force
De sonder toute chose au delà de l’écorce,
Prince, et d’étudier à fond le cœur humain,
J’ai fini par avoir une troisième main.
Celle qu’on ne voit pas. La bonne. Tel est, sire,
Mon art. Le résultat, voleur. Masque de cire,
Fantôme, ombre, poussière et cendre, majesté,
As-tu compris ? Ô rois, vous êtes un côté ;
Je suis l’autre. Je suis l’homme d’esprit, le maître
Du crépuscule obscur, du risque, du peut-être,
Du néant, du passant, du souffle aérien ;
Je possède ce tout que vous appelez rien ;
Je combine le vent avec la destinée ;
Et j’existe. Mon âme est vers l’azur tournée
Et songeant qu’après tout, dans ce monde gueusard,
Je suis un becqueteur paisible du hasard,
Que mes dents ne sont pas des dents inexorables,
Que je ne répands point le sang des misérables
Comme un juge, comme un bourreau, comme un soldat,
Songeant que de zéro je suis le candidat,
Que mon ambition, sans haine et sans durée,