Page:Hugo - La Légende des siècles, 3e série, édition Hetzel, 1883.djvu/224

Cette page n’a pas encore été corrigée

Nous voulons tous les deux, à tout prix, n’importe où,
Toi grossir ton royaume et moi gagner mon sou ;
Et dans notre sagesse et dans notre démence,
Roi, nous sommes aidés par le hasard immense.
Seulement je vaux plus que toi. Daigne écouter.

Nous sommes tous deux fils, toi qu’il faut redouter,
De l’étrangère, et moi de la bohémienne ;
Roi, que ta majesté fasse pendre la mienne,
Cela ne prouve pas qu’en notre désaccord
La tienne ait raison, sire, et que la mienne ait tort.
Je suis né, laisse-moi te raconter ce conte,
Pour avoir faim toujours et n’avoir jamais honte,
Car ce n’est pas honteux de manger. Rien n’est vrai
Que la faim ; et l’enfer, dont l’homme fait l’essai,
C’est l’éternel refus du pain fuyant les bouches ;
Et c’est pourquoi je rôde au fond des bois farouches.
Je ne suis pas méchant, moi qui parle ; je veux,
Sans ôter aux mortels un seul de leurs cheveux,
Leur retirer un peu des choses superflues
Et pesantes qui font leurs bourses trop joufflues.
Je dépense à cela beaucoup de talent. Roi,
Je ne verse jamais le sang. Écoute-moi ;
Médite si tu peux, et, si tu veux, digère,
Mais comprends-moi. Je hais le mal qui s’exagère ;
Tuer, c’est de l’orgueil. Casser un bourgeois, fi !
À quoi bon ? L’assassin est un larron bouffi.