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Parfois tu viens, muette et grave, sous l'yeuse
T'asseoir, puis te voilà subitement joyeuse,
Tu te mets à chanter quelque chanson d'enfant,
Et j'écoute, attendri, ton rire triomphant.
Oh ! quel être charmant que celui qui varie
Tantôt son enjouement jusqu'à la rêverie,
Tantôt son chant plaintif jusqu'au refrain railleur,
Et qui, soudain, quittant pour le hallier en fleur
L'empyrée où l'esprit en plein azur s'enfonce,
Terrestre et cependant aérien, renonce
Au vol de l'ange et prend les ailes de l'oiseau !
Ta taille a la souplesse aimable du roseau ;
Une lueur errante emplit ton sourcil sombre,
Comme si l'âme allait et venait dans cette ombre ;
Il semble que Dieu met un ange à ton côté ;
Tu m'éblouis ; parfois je crois, fleur de beauté,
Entendre autour de toi des murmures d'abeille.
Quand près de moi tu viens, apportant ta corbeille,
Comme dans leur vieux cloître autrefois les nonnains,
Faire un tas de petits chefs-d'œuvre féminins,
Je t'admire, et je crois voir l'aube qui se lève.
On a beau tout rêver, tu dépasses le rêve ;
Ton œil promet l'amour, ton cœur donne le ciel.
Tu passes dans la vie, humble, sans peur, sans fiel,
Sans faire de reproche à l'ombre, toi l'étoile.
Une musique sort, comme à travers un voile,
De ta beauté naïve et farouche à la fois ;
Ta grâce est comme un luth qui vibre au fond du bois ;