Page:Hugo - La Légende des siècles, 3e série, édition Hetzel, 1883.djvu/16

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Si j'abaisse les yeux, si je regarde l'ombre, Je sens en moi, devant les supplices sans nombre, Les bourreaux, les tyrans, grandir à chaque pas Une indignation qui ne m'endurcit pas, Car s'indigner de tout, c'est tout aimer en somme, Et tout le genre humain est l'abîme de l'homme. Le philosophe plane et rêve sur ces flots De douleurs, de tourments, d'angoisses, de sanglots, Où partout quelque esquif lutte, chavire et sombre ; Ainsi qu'une hirondelle au-dessus d'une eau sombre, Dans ce monde qui semble au hasard châtié, L'âme tournoie autour d'un gouffre, la pitié. Que croire ? — Oh ! la pitié me prend, m'emplit, m'enivre, Me donne le dégoût formidable de vivre, Me porte à des excès étranges, secourir Au hasard, à tâtons, ceux que je vois souffrir, Être indulgent, pensif, tendre, clément, stupide ; Si bien que par moments la foule me lapide.