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Le ver de terre a droit de vivre ; et le vautour
Dans le banquet du jour et de l'ombre a son tour ;
Le grand ordre ignoré n'exclut pas la belette
De ceux que la mamelle universelle allaite ;
Et moi qui sais que tout a pour racine tout,
Que, si l'un est couché, c'est que l'autre est debout,
Que l'être naît de l'être, et sans fin se transforme,
Et que l'éternité tourne en ce cercle énorme,
Sans quoi dans l'azur noir les soleils s'éteindraient,
Je ne vois pas pourquoi les prophètes seraient
Dispensés de donner leur chair pour nourriture
À l'affamée immense et sombre, la nature.
Et puis ce lapidé sert encore à ceci :
C'est qu'il te fait songer. L'homme passe, obscurci
Par la nuit, par l'hiver, par l'ombre, et par son âme,
Car il met de la cendre où j'ai mis de la flamme ;
Eh bien, puisqu'il est sourd, et puisqu'il est haineux
À ceux qu'il voit venir ayant mon souffle en eux,
Puisqu'il a son plaisir pour loi, pour dieu son ventre,
Il est bon qu'en venant de jouer dans quelque antre
Ses jours, son bien, son cœur, tout, sur un coup de dé,
Soudain il voie à terre un sage lapidé,
Et qu'il compare, ému d'une terreur sacrée,
Les cadavres qu'il fait aux esprits que je crée.

— Et, poursuivit l'Esprit immense, écoute encor.
Quand, tels que des chasseurs menant au son du cor